mardi 21 octobre 2014

L'argumentation : boîte à outils pour l'analyse !



QU'EST-CE QU'UN TEXTE ARGUMENTATIF ?

I Définition (lire FMH, p. 166a, Fr-2de, p. 488, Bordas 1°, p. 294)
"De même que le texte narratif fait passer d'un état initial à un état final au moyen d'un processus de transformation, de même le texte argumentatif fait passer d'un stade de pensée initial (thèse refusée) à un stade de pensée final (thèse proposée) au moyen d'un processus d'argumentation" (Alain Boissinot, T.A. , p. 37). Cf texte de Jean Lacouture "Journalisme et vérité" : "En apparence ..."
            Rem. : Un texte argumentatif contient souvent des passages de type expositif (informatifs ou explicatifs) et un passage de type injonctif (ou prescriptif), surtout à la fin du texte, pour inciter à l'action par exemple.

II Le thème et les thèses en présence :

1) Le "thème" : On appelle "thème" le sujet abordé dans le texte.

2) La notion de "texte dialogique"

 a) "Thèse proposée" et "thèse refusée"
    Le texte argumentatif est essentiellement le lieu d'un discours contradictoire sur le réel ; deux points de vue , deux "voix" s'y croisent  et s'y expriment de façon plus ou moins explicite : celui de l'argumentateur, celui des tenants de la thèse qu'il s'agit de réfuter. (FMH, p. 174a, Bordas 1°, p. 350)
   C'est ce caractère "dialogique" du texte argumentatif qui marque sa spécificité  (T.A. , p. 38)

b) Voix et polyphonie (lire FMH, p. 174a, Fr-2de, p. 488, Bordas 1°, p. 295b)
    Le texte argumentatif crée un dialogue avec ses adversaires dont il fait entendre la voix ( en les désignant comme "eux", "on" ou "vous") et parfois aussi avec ses partenaires, les lecteurs, qu'il peut interpeller ( en utilisant le "vous") ou auxquels il peut s'associer (en utilisant le "nous" ou le "on"). (St.V.)
Voir ci-dessous, §3 I, les indices de personne.
  Il est particulièrement important de ne pas attribuer à l'argumentateur des points de vue qui ne sont pas les siens, mais qui, évoqués dans des mécanismes ironiques ou concessifs, renvoient à d'autres énonciateurs. (T.A. p. 26)

c) Qui parle ?
    O. Ducrot distingue :
- L'"auteur empirique" de l'énoncé : c'est son producteur réel, souvent mais pas toujours confondu avec le locuteur ;
- le "locuteur" (celui qui "parle") : c'est "un être qui, dans le sens même de l'énoncé, est présenté comme son responsable, c'est-à-dire quelqu'un à qui on doit imputer la responsabilité de cet énoncé. C'est à lui que réfèrent le pronom je et les autres marques de la première personne". (lire FMH, p.66a)
- l' "énonciateur" : c'est quelqu'un dont on entend la "voix" dans le discours, mais qui n'a pas les propriétés caractéristiques du locuteur (notamment la désignation par la première personne).
  Ainsi dans la première scène de Britannicus, lorsque Agrippine répond à Albine qui évoquait la vertu de Néron,
"Et ce même Néron, que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit."
l'hémistiche "que la vertu conduit" n'exprime pas le point de vue du locuteur, Agrippine, sans pourtant renvoyer explicitement à un locuteur différent. (T.A. p. 24-25). 2° ex. : Texte de Jean Lacouture, "Journalisme et vérité".

3) Le dialogue fictif (ou dialogisme)
  A l'intérieur d'un texte argumentatif, on peut lire parfois un dialogue fictif avec l'adversaire dont les propos sont rapportés sous forme de fausses questions. (Fr. 2de, p. 488a)
  L'interrogation oratoire (ou rhétorique) est une question qui n'appelle pas de réponse, tant on veut faire apparaître cette dernière évidente. C'est une manière de forcer l'adhésion du public. (D. Bergez et al. , Vocabulaire  de l'analyse littéraire, Dunod, 1994, art. "Dialogisme" ; FMH, p. 168b)

III Démontrer, convaincre et/ou persuader, délibérer

1) Définitions  (lire doc. de synthèse sur ce sujet et FMH, p. 166, Fr-2de, p. 489a, Bordas 1°, p. 255)
            Démontrer, c'est partir d'une proposition donnée comme vraie et mener un raisonnement déductif qui conduit à une conclusion irréfutable ; la démonstration est une démarche scientifique.
                Convaincre, c’est justifier la thèse qu’on a choisie pour la faire adopter par autrui ; les arguments utilisés sont d’ordre rationnels et logiques.
            Persuader, c’est faire appel aux sentiments, aux émotions et/ou s’adresser davantage aux désirs inconscients et irrationnels de l’individu qu’à sa raison et à ses intérêts bien compris.
             Délibérer, c'est prendre une décision ou adopter une opinion à l'issue d'une confrontation d'idées.

2) Art de manipuler le destinataire (FMH, p. 169b ; BEL., p. 164-5)

a) Adapter les arguments au destinataire et les registres à la situation :
Pour convaincre ou être persuasif, l'auteur doit connaître son destinataire et disposer son argumentation en fonction de ce qu'il sait de son caractère. Cf Pascal : "En sachant la passion dominante de chacun, on est sûr de lui plaire."
  De même, dans sa fable "Le pouvoir des Fables" (VIII, 4), La Fontaine met en scène un orateur d'Athènes qui ne se fait écouter qu'après avoir rendu son discours conforme aux attentes des citoyens...en racontant une histoire !
(...) Si Peau d'âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant."
b) Faire découvrir la vérité
    La meilleure façon de toucher le destinataire de l'argumentation est de le faire participer à la découverte de la vérité dont on veut le convaincre (cf l'ironie socratique).
   "On se persuade mieux, pour l 'ordinaire, par les raisons qu'on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l'esprit des autres." (Pascal )

c) User de l'action oratoire pour émouvoir : mise en scène du discours par les gestes, expressions du visage, ton de la voix ... (FMH, p. 169a)

IV  Thèses et systèmes de "valeurs" (lire Bordas 1°, p. 294a)

1) Définition : En morale, on appelle "valeur" une idée qui est considérée comme digne d'estime, et qui oriente la vie des hommes  (St.V., p. 157). Cf. l'appel aux valeurs supérieures, in doc. "Convaincre et persuader"

2) Les couples de valeurs opposées (T.A. , p. 56-7)
Un procédé constant de l'argumentation est de référer les thèses en présence à des systèmes de valeurs qui eux-mêmes opposent deux pôles, dont l'un se trouve valorisé et l'autre dévalorisé (hiérarchie d'ailleurs souvent réversible suivant les sociétés et les époques).
   Ainsi le couple passé/avenir revient très souvent en argumentation, mais une époque conservatrice valorisera la fidélité au passé, et donc les thèses qui lui sont associées, alors qu'une époque de croyance au progrès inversera le procédé.
    Ces valeurs au nom desquelles on argumente, sont souvent laissées implicites parce qu'on les tient pour évidentes (ou parce qu'on veut les présenter comme allant de soi...).


INDICES A ANALYSER DANS LE TEXTE ARGUMENTATIF

L'analyse et le rapprochement des indices textuels permettent d'étayer les hypothèses initiales d'interprétation (T.A. , p. 51)
(voir "grille de lecture du texte argumentatif" dans T.A. p. 59)

I Les indices d'énonciation (lire FMH, p. 66)

1) Les indices de personne et les usages argumentatifs des pronoms :
 a)  les déictiques (cf Fiche n° 10)
  Ce sont les termes qui articulent l'énoncé sur la réalité extra-linguistique en faisant référence à la situation de communication (pronoms personnels de la première et de la deuxième personne, système des temps, marques de localisation temporelle du type ici et maintenant , qui demandent à être interprétés par rapport à celui qui parle).
     Il s'agit là, selon la distinction de Benveniste, des caractéristiques du discours, par opposition au système du récit. (T.A., p. 51-52) ; on parle aujourd'hui d'énoncé ancré ou coupé de la situation d'énonciation (lire FMH, p.66, Fr-2de, p. 493)

 b)  "On", "nous", "je" (lire Fr-2de, p. 488b bas)
  La diversité des emplois du pronom "ON" et surtout l'ambiguïté qu'ils permettent d'entretenir sur la personne donne à ce pronom un rôle essentiel dans les textes argumentatifs.
  Le pronom "on" a tantôt un caractère inclusif, tantôt un caractère exclusif. La Grammaire du français contemporain (Larousse) indique :"Le on peut englober un je, un tu, un nous, un vous, un il, un ils, etc., ou les exclure" et cite un exemple d'Apollinaire :
"Il y a si longtemps qu'on fait croire aux gens

Qu'ils n'ont aucun avenir

Qu'on en a pris son parti."
Le premier on exclut le je qui est inclus dans le second. (T.A. , p. 80 ; exemples p. 80 à 84)
La souplesse de on permet de constituer un système où le même pronom revêt trois valeurs différentes :
            - les tenants de la thèse refusée, que je récuse ;
            - tout le monde ;
            - nous ( = moi qui argumente + mes lecteurs et même ceux qui initialement adhéraient à la thèse refusée)
  La stratégie argumentative consiste à obtenir la plus large adhésion possible à la thèse proposée, donc à passer du premier on (exclusif) au troisième (inclusif).
     Exemple : "On ne s'élève contre les progrès de la civilisation que par l'obsession des préjugés : on continue de voir les peuples comme on les voyait autrefois, isolés, n'ayant rien de commun dans leurs destinées. Mais si l'on considère l'espèce humaine comme une grande famille qui s'avance vers le même but ; si l'on ne s'imagine pas que tout est fait ici bas pour qu'une petite province, un petit royaume restent éternellement dans leur ignorance, leur pauvreté, leurs institutions politiques telles que la barbarie, le temps et le hasard les ont produites, alors ce développement de l'industrie, des sciences et des arts, semblera ce qu'il est en effet, une chose légitime et naturelle. Dans ce mouvement universel on reconnaîtra celui de la société, qui, finissant son histoire particulière, commence son histoire générale." (Chateaubriand, Préface du Voyage en Amérique, 1827) L'adversaire est désigné ici par un "on" à valeur générale et souvent péjorative, à distinguer de celui qui inclut le lecteur : "si l'on considère..."

2) La position de l'argumentateur par rapport à l'énoncé se lit dans certains traits de subjectivité :

a) les modalisateurs, indices de subjectivité (cf Fiche n° 10 et tableau de synthèse ; FMH, p. 80-81)
   Rem. : autres indices de subjectivité (T.A. , p. 52) :   
     - l'utilisation de guillemets pour mettre à distance un énoncé.
             Exemple : texte d'E.Badinter cité dans la fiche 12b.
     - l'utilisation d'italiques pour mettre en valeur un énoncé

b) les images : comparaisons et métaphores peuvent avoir une valeur argumentative (FMH, p. 169b)
La métaphore peut être , plus qu'un ornement, un outil de persuasion . Elle transfère l'énoncé abstrait dans un registre imagé, connu et accepté du lecteur, qui est incité à confonde la logique de l'image avec celle du raisonnement. Il en est de même avec la comparaison.
    Il faut donc s'interroger sur la véritable portée argumentative d'une métaphore : les rapprochements effectués ne résistent pas toujours à l'analyse. (BEL. p. 170)
II  Les indices d'organisation

1) La disposition typographique
   La disposition en paragraphe peut souligner les étapes du raisonnement, mais attention, ce n'est pas toujours le cas...

2) La logique du discours ; les articulations du texte argumentatif  (lire FMH, p. 85, 106) :

 a)  Connecteurs argumentatifs ( logiques ou chronologiques), explicites ou implicites.
Les relations logiques qui unissent les idées entre elles peuvent être marquées explicitement par des mots de nature grammaticale diverse appelés "connecteurs" (cf tableau de synthèse sur les "relations entre les idées") . Mais ils sont parfois peu présents ou même absents d'un texte argumentatif. Les relations logiques restées implicites sont alors à rétablir.
     REM. : valeur et emploi du "mais" . Il faut vérifier quels sont les éléments articulés par cette conjonction. Il peut s'agir  "des propositions grammaticales précédant et suivant directement le mais. (...) Il peut s'agir de segments beaucoup plus vastes. Quelquefois, c'est tout le développement qui précède ou qui suit mais, la conjonction reliant par exemple un paragraphe à un autre. Il peut également s'agir de segments qui ne précèdent pas directement le mais."(O.Ducrot, cité in  T.A., p. 20 ; voir exemples p. 68)
   Il faut aussi vérifier le sens de la conjonction "mais" : si elle indique ordinairement une opposition, elle est susceptible de se nuancer en fonction du contexte ; elle peut ainsi traduire une progression dans le discours : ce qui va suivre est encore plus important que ce qui précède. La conjonction signifie alors "bien plus". Exemple : texte de Jean Lacouture, "Journalisme et vérité", extrait du Courrier de l'UNESCO, sept. 1990, proposé dans les "annales zéro" des nouvelles épreuves du baccalauréat.
   Attention aussi à la différence entre "parce que " et "puisque" : puisque suppose deux énonciateurs ; il renvoie la responsabilité de l'assertion subordonnée à l'autre ou à une opinion générale. Exemple : "Je t'écoute, puisque tu as toujours raison" . (T.A. p. 20)

b)  Juxtaposition, coordination, subordination (lire FMH, p. 142)

3) Les formules d'introduction, de transition ou de conclusion (T.A. p. 56 ; FMH, p. 147)
  a) Exorde (BEL. p. 164, p. 168 mil.), "captatio benevolentiae" : L'exorde est une entrée en matière brève et percutante , propre à capter l'attention du destinataire et à lui inspirer de la bienveillance.
    De même la phrase d'ouverture présente brièvement le thème du texte et cet effet d'annonce fournit au lecteur une orientation préalable des plus utiles pour la compréhension de la suite.
b) Péroraison (BEL. p. 168 mil.) : le texte se conclut souvent par un résumé des principaux arguments et un appel aux sentiments.

III  Les indices lexicaux (FMH, p. 61)
1) Champs lexicaux opposés, contradictoires (BEL. p. 172 mil.)
        Il est fréquent que le locuteur confronte dans la même période deux champs lexicaux opposés, celui qui valorise sa thèse (mots de sens valorisant) et celui qui discrédite la thèse adverse (termes péjoratifs).

2) Réseaux sémantiques (Lire FMH, p. 427)
Un terme prend également sens par les relations qu'il entretient avec son contexte. Notamment un texte peut établir un jeu d'échos entre des termes dont les significations entrent en relation les unes avec les autres, constituant u réseau sémantique (à ne pas confondre avec le "champ sémantique").
 Le texte peut associer des mots que l'usage dissocie. Par opposition au champ lexical, il peut être paradoxal. (St.V.,p.157)
    "Si les champs lexicaux sont en quelque sorte transcendants au texte (et donc d'un repérage relativement sûr), la notion de réseau sémantique permet de rendre compte d'associations de termes plus mouvantes qui se réalisent dans un texte donné.
    Par exemple, le mot "autoroute", a priori argumentativement neutre, recevra une charge positive dans un texte qui, plaidant pour une culture universelle, l'associera à l'évocation de toutes les techniques qui permettent l'établissement de celle-ci. Inversement, il recevra une charge négative dans un texte qui fera l'éloge de la marche comme moyen d'une lente et patiente découverte du monde.
   Les réseaux sémantiques se construisent donc dans et par le texte lui-même ; en ce sens ils constituent un indice plus délicat à interpréter que les champs lexicaux, puisqu'ils supposent au moins un début de compréhension du texte."
  "Le réseau sémantique relève moins d'une analyse du lexique que d'une interprétation du texte. Le dynamisme caractéristique des textes argumentatifs se manifeste souvent dans le travail et les transformations des réseaux sémantiques." (Alain Boissinot, T.A. p. 57  et 87 ; voir exemples p. 87 )

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