QU'EST-CE QU'UN TEXTE
ARGUMENTATIF ?
I Définition (lire FMH, p. 166a, Fr-2de, p. 488, Bordas 1°, p. 294)
"De même que le texte
narratif fait passer d'un état initial à un état final au moyen d'un processus
de transformation, de même le texte argumentatif fait passer d'un stade de
pensée initial (thèse refusée) à un stade de pensée final (thèse
proposée) au moyen d'un processus d'argumentation" (Alain Boissinot,
T.A. , p. 37). Cf texte de Jean Lacouture "Journalisme et vérité" :
"En apparence ..."
Rem. : Un texte argumentatif contient souvent des
passages de type expositif (informatifs ou explicatifs) et un passage de type
injonctif (ou prescriptif), surtout à la fin du texte, pour inciter à l'action
par exemple.
II Le thème et les thèses
en présence :
1) Le "thème" : On appelle "thème" le sujet abordé dans le
texte.
2) La notion de
"texte dialogique"
a)
"Thèse proposée" et "thèse refusée"
Le texte argumentatif est essentiellement
le lieu d'un discours contradictoire sur le réel ; deux points de vue , deux "voix"
s'y croisent et s'y expriment de façon
plus ou moins explicite : celui de l'argumentateur, celui des tenants
de la thèse qu'il s'agit de réfuter. (FMH, p. 174a, Bordas 1°, p. 350)
C'est ce caractère "dialogique" du
texte argumentatif qui marque sa spécificité
(T.A. , p. 38)
b) Voix et polyphonie (lire FMH, p. 174a, Fr-2de, p. 488, Bordas 1°, p.
295b)
Le texte argumentatif crée un dialogue avec
ses adversaires dont il fait entendre la voix ( en les désignant comme
"eux", "on" ou "vous") et parfois aussi avec ses
partenaires, les lecteurs, qu'il peut interpeller ( en utilisant le
"vous") ou auxquels il peut s'associer (en utilisant le
"nous" ou le "on"). (St.V.)
Voir ci-dessous, §3 I, les
indices de personne.
Il est particulièrement important de ne pas
attribuer à l'argumentateur des points de vue qui ne sont pas les siens, mais
qui, évoqués dans des mécanismes ironiques ou concessifs, renvoient à d'autres
énonciateurs. (T.A. p. 26)
c) Qui parle ?
O. Ducrot distingue :
- L'"auteur
empirique" de l'énoncé : c'est son producteur réel, souvent mais pas
toujours confondu avec le locuteur ;
- le "locuteur"
(celui qui "parle") : c'est "un être qui, dans le sens même de
l'énoncé, est présenté comme son responsable, c'est-à-dire quelqu'un à qui on
doit imputer la responsabilité de cet énoncé. C'est à lui que réfèrent le pronom
je et les autres marques de la première personne". (lire
FMH, p.66a)
- l' "énonciateur"
: c'est quelqu'un dont on entend la "voix" dans le discours, mais qui
n'a pas les propriétés caractéristiques du locuteur (notamment la désignation
par la première personne).
Ainsi dans la première scène de Britannicus, lorsque Agrippine répond à Albine qui évoquait la vertu de Néron,
Ainsi dans la première scène de Britannicus, lorsque Agrippine répond à Albine qui évoquait la vertu de Néron,
"Et ce même Néron, que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit."
l'hémistiche "que la
vertu conduit" n'exprime pas le point de vue du locuteur, Agrippine,
sans pourtant renvoyer explicitement à un locuteur différent. (T.A. p. 24-25).
2° ex. : Texte de Jean Lacouture, "Journalisme et vérité".
3) Le dialogue fictif (ou
dialogisme)
A l'intérieur d'un texte argumentatif, on
peut lire parfois un dialogue fictif avec l'adversaire dont les propos sont
rapportés sous forme de fausses questions. (Fr. 2de, p. 488a)
L'interrogation oratoire (ou rhétorique)
est une question qui n'appelle pas de réponse, tant on veut faire apparaître
cette dernière évidente. C'est une manière de forcer l'adhésion du public. (D.
Bergez et al. , Vocabulaire de
l'analyse littéraire, Dunod, 1994, art. "Dialogisme" ; FMH, p.
168b)
III Démontrer, convaincre
et/ou persuader, délibérer
1) Définitions (lire doc. de
synthèse sur ce sujet et FMH, p. 166, Fr-2de, p. 489a, Bordas 1°, p. 255)
Démontrer, c'est partir d'une proposition donnée comme vraie et
mener un raisonnement déductif qui conduit à une conclusion irréfutable ;
la démonstration est une démarche scientifique.
Convaincre,
c’est justifier la thèse qu’on a choisie pour la faire adopter par autrui ; les
arguments utilisés sont d’ordre rationnels et logiques.
Persuader, c’est faire appel aux sentiments,
aux émotions et/ou s’adresser davantage aux désirs inconscients et
irrationnels de l’individu qu’à sa raison et à ses intérêts bien compris.
Délibérer, c'est prendre une décision ou adopter une opinion à l'issue d'une confrontation d'idées.
Délibérer, c'est prendre une décision ou adopter une opinion à l'issue d'une confrontation d'idées.
2) Art de manipuler le
destinataire (FMH, p. 169b ; BEL., p.
164-5)
a) Adapter les arguments
au destinataire et les registres à la situation :
Pour convaincre ou être
persuasif, l'auteur doit connaître son destinataire et disposer son
argumentation en fonction de ce qu'il sait de son caractère. Cf Pascal : "En
sachant la passion dominante de chacun, on est sûr de lui plaire."
De même, dans sa fable "Le pouvoir des
Fables" (VIII, 4), La Fontaine met en scène un orateur d'Athènes qui ne se
fait écouter qu'après avoir rendu son discours conforme aux attentes des
citoyens...en racontant une histoire !
(...) Si Peau d'âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant."
b) Faire découvrir la
vérité
La meilleure façon de toucher le
destinataire de l'argumentation est de le faire participer à la découverte de
la vérité dont on veut le convaincre (cf l'ironie socratique).
"On se persuade mieux, pour l
'ordinaire, par les raisons qu'on a soi-même trouvées, que par celles qui sont
venues dans l'esprit des autres." (Pascal )
c) User de l'action oratoire pour émouvoir : mise en scène du discours par les gestes, expressions du visage, ton de la voix ... (FMH, p. 169a)
c) User de l'action oratoire pour émouvoir : mise en scène du discours par les gestes, expressions du visage, ton de la voix ... (FMH, p. 169a)
IV Thèses et systèmes de "valeurs" (lire Bordas 1°, p. 294a)
1) Définition : En morale, on appelle "valeur" une idée qui
est considérée comme digne d'estime, et qui oriente la vie des hommes (St.V., p. 157). Cf. l'appel aux valeurs
supérieures, in doc. "Convaincre et persuader"
2) Les couples de valeurs
opposées (T.A. , p. 56-7)
Un procédé constant de
l'argumentation est de référer les thèses en présence à des systèmes de valeurs
qui eux-mêmes opposent deux pôles, dont l'un se trouve valorisé et l'autre
dévalorisé (hiérarchie d'ailleurs souvent réversible suivant les sociétés et
les époques).
Ainsi le couple passé/avenir revient
très souvent en argumentation, mais une époque conservatrice valorisera la
fidélité au passé, et donc les thèses qui lui sont associées, alors qu'une
époque de croyance au progrès inversera le procédé.
Ces valeurs au nom desquelles on argumente,
sont souvent laissées implicites parce qu'on les tient pour évidentes (ou parce
qu'on veut les présenter comme allant de soi...).
INDICES A ANALYSER DANS LE
TEXTE ARGUMENTATIF
L'analyse et le rapprochement
des indices textuels permettent d'étayer les hypothèses initiales
d'interprétation (T.A. , p. 51)
(voir "grille de lecture
du texte argumentatif" dans T.A. p. 59)
I Les indices
d'énonciation (lire FMH, p. 66)
1) Les indices de personne
et les usages argumentatifs des pronoms :
a) les déictiques (cf Fiche n° 10)
Ce sont les termes qui articulent l'énoncé
sur la réalité extra-linguistique en faisant référence à la situation de
communication (pronoms personnels de la première et de la deuxième personne,
système des temps, marques de localisation temporelle du type ici et maintenant
, qui demandent à être interprétés par rapport à celui qui parle).
Il s'agit là, selon la distinction de
Benveniste, des caractéristiques du discours, par opposition au système
du récit. (T.A., p. 51-52) ; on parle aujourd'hui d'énoncé ancré ou
coupé de la situation d'énonciation (lire FMH, p.66, Fr-2de, p. 493)
b) "On", "nous",
"je" (lire Fr-2de, p. 488b
bas)
La diversité des
emplois du pronom "ON" et surtout l'ambiguïté qu'ils permettent
d'entretenir sur la personne donne à ce pronom un rôle essentiel dans les
textes argumentatifs.
Le pronom "on" a tantôt un
caractère inclusif, tantôt un caractère exclusif. La Grammaire
du français contemporain (Larousse) indique :"Le on peut
englober un je, un tu, un nous, un vous, un il,
un ils, etc., ou les exclure" et cite un exemple d'Apollinaire :
"Il y a si longtemps qu'on fait
croire aux gens
Qu'ils n'ont aucun avenir
Qu'on en a pris son parti."
Le premier on exclut
le je qui est inclus dans le second. (T.A. , p. 80 ; exemples p. 80 à
84)
La souplesse de on permet
de constituer un système où le même pronom revêt trois valeurs différentes
:
- les tenants de la thèse refusée, que je récuse ;
- tout le monde ;
- nous ( = moi qui argumente + mes lecteurs et même ceux
qui initialement adhéraient à la thèse refusée)
La stratégie argumentative consiste à obtenir
la plus large adhésion possible à la thèse proposée, donc à passer du premier on
(exclusif) au troisième (inclusif).
Exemple : "On ne s'élève contre les
progrès de la civilisation que par l'obsession des préjugés : on continue de
voir les peuples comme on les voyait autrefois, isolés, n'ayant rien de commun
dans leurs destinées. Mais si l'on considère l'espèce humaine comme une grande
famille qui s'avance vers le même but ; si l'on ne s'imagine pas que tout est
fait ici bas pour qu'une petite province, un petit royaume restent
éternellement dans leur ignorance, leur pauvreté, leurs institutions politiques
telles que la barbarie, le temps et le hasard les ont produites, alors ce
développement de l'industrie, des sciences et des arts, semblera ce qu'il est
en effet, une chose légitime et naturelle. Dans ce mouvement universel on
reconnaîtra celui de la société, qui, finissant son histoire particulière,
commence son histoire générale." (Chateaubriand, Préface du Voyage en
Amérique, 1827) L'adversaire est désigné ici par un "on" à valeur
générale et souvent péjorative, à distinguer de celui qui inclut le lecteur :
"si l'on considère..."
2) La position de
l'argumentateur par rapport à l'énoncé
se lit dans certains traits de subjectivité :
a) les modalisateurs,
indices de subjectivité (cf Fiche n°
10 et tableau de synthèse ; FMH, p. 80-81)
Rem. : autres indices de subjectivité (T.A.
, p. 52) :
- l'utilisation de guillemets
pour mettre à distance un énoncé.
Exemple : texte
d'E.Badinter cité dans la fiche 12b.
- l'utilisation d'italiques
pour mettre en valeur un énoncé
b) les images : comparaisons et métaphores peuvent avoir une valeur
argumentative (FMH, p. 169b)
La métaphore peut être , plus qu'un ornement, un outil de
persuasion . Elle transfère l'énoncé abstrait dans un registre imagé, connu et
accepté du lecteur, qui est incité à confonde la logique de l'image avec celle
du raisonnement. Il en est de même avec la comparaison.
Il faut donc s'interroger sur la véritable
portée argumentative d'une métaphore : les rapprochements effectués ne
résistent pas toujours à l'analyse. (BEL. p. 170)
II Les indices d'organisation
1) La disposition
typographique
La disposition en paragraphe peut souligner
les étapes du raisonnement, mais attention, ce n'est pas toujours le cas...
2) La logique du discours
; les articulations du texte argumentatif (lire FMH, p. 85, 106) :
a) Connecteurs argumentatifs ( logiques ou chronologiques), explicites ou
implicites.
Les relations logiques qui
unissent les idées entre elles peuvent être marquées explicitement par des mots
de nature grammaticale diverse appelés "connecteurs" (cf tableau de
synthèse sur les "relations entre les idées") . Mais ils sont parfois
peu présents ou même absents d'un texte argumentatif. Les relations logiques
restées implicites sont alors à rétablir.
REM. : valeur et emploi du "mais" . Il faut vérifier quels sont les éléments articulés
par cette conjonction. Il peut s'agir
"des propositions grammaticales précédant et suivant directement le
mais. (...) Il peut s'agir de segments beaucoup plus vastes.
Quelquefois, c'est tout le développement qui précède ou qui suit mais,
la conjonction reliant par exemple un paragraphe à un autre. Il peut également
s'agir de segments qui ne précèdent pas directement le mais."(O.Ducrot,
cité in T.A., p. 20 ; voir exemples p.
68)
Il faut aussi vérifier le sens de la
conjonction "mais" : si elle indique ordinairement une opposition,
elle est susceptible de se nuancer en fonction du contexte ; elle peut ainsi
traduire une progression dans le discours : ce qui va suivre est encore plus
important que ce qui précède. La conjonction signifie alors "bien
plus". Exemple : texte de Jean Lacouture, "Journalisme et vérité",
extrait du Courrier de l'UNESCO, sept. 1990, proposé dans les
"annales zéro" des nouvelles épreuves du baccalauréat.
Attention
aussi à la différence entre "parce que " et "puisque" : puisque suppose deux énonciateurs ; il renvoie
la responsabilité de l'assertion subordonnée à l'autre ou à une opinion
générale. Exemple : "Je t'écoute, puisque tu as toujours raison" .
(T.A. p. 20)
b) Juxtaposition, coordination, subordination (lire FMH, p. 142)
3) Les formules
d'introduction, de transition ou de conclusion (T.A. p. 56 ; FMH, p. 147)
a) Exorde (BEL. p. 164, p. 168 mil.), "captatio
benevolentiae" : L'exorde est
une entrée en matière brève et percutante , propre à capter l'attention du
destinataire et à lui inspirer de la bienveillance.
De même la phrase d'ouverture présente
brièvement le thème du texte et cet effet d'annonce fournit au lecteur une
orientation préalable des plus utiles pour la compréhension de la suite.
b) Péroraison (BEL. p. 168 mil.) : le texte se conclut souvent par
un résumé des principaux arguments et un appel aux sentiments.
III Les indices lexicaux (FMH, p. 61)
1) Champs lexicaux
opposés, contradictoires (BEL. p. 172
mil.)
Il est fréquent que le locuteur
confronte dans la même période deux champs lexicaux opposés, celui qui valorise
sa thèse (mots de sens valorisant) et celui qui discrédite la thèse adverse
(termes péjoratifs).
2) Réseaux sémantiques (Lire FMH, p. 427)
Un terme prend également sens
par les relations qu'il entretient avec son contexte. Notamment un texte peut
établir un jeu d'échos entre des termes dont les significations entrent en
relation les unes avec les autres, constituant u réseau sémantique (à ne pas
confondre avec le "champ sémantique").
Le texte peut associer des mots que l'usage
dissocie. Par opposition au champ lexical, il peut être paradoxal.
(St.V.,p.157)
"Si les
champs lexicaux sont en quelque sorte transcendants au texte (et donc d'un
repérage relativement sûr), la notion de réseau sémantique permet de rendre
compte d'associations de termes plus mouvantes qui se réalisent dans un texte
donné.
Par exemple, le
mot "autoroute", a priori argumentativement neutre, recevra une
charge positive dans un texte qui, plaidant pour une culture universelle,
l'associera à l'évocation de toutes les techniques qui permettent
l'établissement de celle-ci. Inversement, il recevra une charge négative dans
un texte qui fera l'éloge de la marche comme moyen d'une lente et patiente
découverte du monde.
Les réseaux
sémantiques se construisent donc dans et par le texte lui-même ; en ce sens ils
constituent un indice plus délicat à interpréter que les champs lexicaux,
puisqu'ils supposent au moins un début de compréhension du texte."
"Le réseau
sémantique relève moins d'une analyse du lexique que d'une interprétation du
texte. Le dynamisme caractéristique des textes argumentatifs se manifeste
souvent dans le travail et les transformations des réseaux sémantiques."
(Alain Boissinot, T.A. p. 57 et 87 ; voir
exemples p. 87 )
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